Table des matières
parergon, sens actuel
l'œuvre et le parergon
Derrida :
Un parergon vient contre, à côté et en plus de l’ergon, du travail fait, du fait, de l’œuvre mais il ne tombe pas à côté, il touche et coopère, depuis un certain dehors, au-dedans de l’opération. Ni simplement dehors ni simplement dedans. Comme un accessoire qu’on est obligé d’accueillir au bord, à bord. Il est d’abord l’à-bord 1).
Ernest Pignon-Ernest:
C’est le travail à l’inverse exact de celui de l’affiche, qui est elle aussi dans la rue. (…) Mon travail a les caractéristiques d’une affiche. C’est pour ça que je ne dis jamais le mot « affiche ». C’est du papier, une affiche avec des dessins dessus. Mais c’est tout le contraire. C’est-à-dire que quand on fait une affiche, on a comme objectif d’éliminer ce qu’il y a autour et d’être vu aux dépens de ce qu’il y a autour. Et tout mon travail, c’est exactement le contraire. Mon travail est réussi dans la mesure où il réussit à faire des liens les plus complexes et les plus riches avec ce qu’il y a autour. Que ça n’existe que par sa relation avec ce qu’il y a autour. 2)
Le parergon chez Derrida3)
le parergon dans l'antiquité
simple accessoire
Dans la Géographie, Strabon fait intervenir la notion de parergon dans un passage concernant la ville de Rhodes, pour décrire une œuvre du peintre grec Protogène (vers 375 - vers 290 av. J.-C.) :
La ville de Rhodes est ornée de nombreux monuments votifs dont la plupart se trouvent au Dionysion et au gymnase, d’autres en d’autres lieux. Les plus célèbres sont le Colosse du Soleil… et les peintures de Protogène, notamment le Ialysos et le Satyre appuyé à une colonne. Sur cette colonne était posée une perdrix devant laquelle, dit-on, les hommes restaient tellement bouche bée quand le tableau venait d’être exposé que toute leur admiration allait vers elle, tandis que le Satyre était négligé, avec quelque art qu’il fût peint. Ceux qui élevaient des perdrix étaient encore plus émerveillés lorsqu’ils eurent amené devant le tableau leurs perdrix apprivoisées ; elles se mirent à pépier et attirèrent la foule. Protogène, voyant que le principal passait ainsi au rang d’accessoire [parergon], sollicita et obtint des autorités du sanctuaire d’effacer l’oiseau : et ainsi fit-il.
Dans ce passage, le terme de parergon sert à désigner le motif secondaire de la perdrix, dont l’exécution était si soignée qu’il recevait plus d’éloges que le satyre lui-même, lequel constituait pourtant l’objet principal du tableau. L’accessoire manifeste donc la virtuosité de l’artiste, liée ici au mimétisme de la représentation. Il est clair, toutefois, que cette démonstration de virtuosité ne doit pas prendre le pas sur le principal, qui réside dans la figure : mécontent des éloges que suscite la perdrix, Protogène n’hésite pas à l’effacer. L’accessoire est donc défini comme ce qui peut être supprimé ; il s’oppose à l’essentiel que manifeste la figure.
accessoire essentiel
Pour être conservé, l’accessoire doit fonctionner comme un symbole nécessaire à la compréhension générale de l’action. Dès lors, il n’est plus parergon. Ainsi, Lucien utilise la notion a contrario dans une description des Noces d’Alexandre et de Roxane du peintre Aétion (v. 330-280), afin de montrer que le motif des amours n’est pas un ornement superflu : « Ce ne sont pas là des hors-d’œuvre [parerga], et ce n’est pas sans motif qu’Aétion s’y est appliqué ; il a tout à la fois montré la passion d’Alexandre pour les armes et signifié que son amour pour Roxane ne lui faisait pas oublier les travaux guerriers »
Autrement dit, dans la peinture d’Aétion, les amours échappent au statut de parergon par leur vocation allégorique, puisqu’ils servent à signifier les intentions d’Alexandre.
Ainsi le parergon doit-il être compris comme un motif accessoire, secondaire par rapport au sujet du tableau, mais qui, par son rôle d’ornement, peut impliquer la démonstration d’une certaine virtuosité. Comme on va le voir à présent, l’emploi plinien du parergon ajoute à ces idées une connotation supplémentaire : celle-ci consiste à considérer que l’accessoire peut en réalité révéler quelque chose d’assez essentiel à propos du tableau, voire du peintre lui-même.